Jour 4 - Les choses sérieuses commencent
Réveil neigeux
C'est le début de l'aventure, je suis encore frais. En plus, je me suis couché relativement tôt la veille et j'ai plutôt bien dormi. Alors forcément, ce matin, depuis les premières lueurs, vers 4 ou 5 heures, mes yeux sont grands ouverts. Il fait froid, mais c'est largement supportable et j'arrive à m'extraire de mon sac de couchage sans grande difficulté.
Je jette un coup d'œil rapide aux températures sur mes thermomètres, qui indiquent la température actuelle, puis le minimum et maximum enregistrés. Un sous la tente, un autre à l'extérieur.
Ok ! Ça tourne autour de -10, c'est très bien ! Je serai à bonne température lorsque je ferai des efforts, puis avec mon équipement, je serai bien lorsque je serai à l'arrêt.
La neige est bien tombée pendant la nuit, et elle continue. Il y a une bonne trentaine de centimètres de poudreuse qui se sont déposés par dessus le reste. Bye bye la neige dure qui m'avait facilité la vie ! Les motoneiges m'ont un peu agacé hier, mais si elles pouvaient passer rapidement aujourd'hui pour me tasser la trace, ce serait pas mal !
Si vous voulez voir à quoi ça ressemble à l'intérieur, voici une photo 360 :
Je ne suis pas vraiment pressé, mais je vais tout de même essayer de ne pas trop traîner à repartir ce matin. Je n'ai pas encore rejoint la trace que je m'étais prévue initialement et je ne sais donc pas si je suis dans le bon timing. Je pense que oui, mais j'ai mon petit côté anxieux qui reprend le dessus.
Il est donc temps de goûter à ces fameuses céréales au lait en poudre pour bébé ! Verdict : ça passe carrément bien. Je n'irai pas jusqu'à dire que c'est bon, mais disons que mélangé au goût des céréales, ça le fait.
Dehors, le temps est très variable et les petites averses neigeuses se succèdent. Mais petit à petit, elles deviennent de plus en plus espacées, pour laisser place au soleil levant, filtré par une fine couche nuageuse. J'adore cette ambiance, avec ces lumières très douces, où tout est feutré.
Quelques prises de photos et de vidéos plus tard, je me lance dans le repliage de mon camp.
Une motoneige passe un peu plus bas. Nickel ! La trace sera faite !
Encore un peu de dénivelé
Me voilà reparti !
Il me reste encore un peu de dénivelé à faire, avant d'être un peu plus tranquille, sur des zones plus plates. J'avance moins vite qu'hier, la neige est plus épaisse. Une motoneige me dépasse. Ça m'arrange ! Puis une autre. Cette fois-ci, le gars s'arrête à mon niveau et discute un peu avec moi. Il est là pour retirer les piquets de balisage de la Finnmarksløpet, la course de chiens de traineaux qui a eu lieu ici quelques jours auparavant. Il me souhaite bon courage, en me disant que ça va être un beau trek, puis il repart. Il a une grosse remorque derrière lui qui me fait une belle trace bien lisse et bien tassée. Parfait ! Merci monsieur ! 😊
Mon avancée est tout de même assez laborieuse. Je tire lourd derrière moi et mine de rien, ça monte encore un peu.
Du plat et du soleil
Un peu avant midi, je rejoins enfin la trace que j'avais prévue initialement. Le terrain devient plus plat. Je suis au milieu d'immenses espaces ouverts. La végétation se fait de plus en plus rare. Fini la taïga avec les grands résineux comme hier. Le ciel se dégage aussi et les nuages laissent place à un beau soleil. C'est très désertique. Je ne vois pas la moindre trace d'animal.
J'avance bien. Beaucoup mieux que quelques heures avant. La température monte grace au soleil. Je ne tarde pas à retirer mes gants pour skier mains nues, et à ouvrir toutes les aérations de mes vêtements. C'est une belle journée !
Pendant mon repas du midi, j'essaye de profiter à nouveau du soleil pour recharger quelques batteries avec mon panneau solaire.
Un peu plus tard, en chemin, lors d'une toute petite pause, j'ai raté de peu un carambolage avec un traineau. Un gars arrivait au loin avec ses chiens à vive allure. Je me suis rangé un peu comme j'ai pu sur le côté de la trace pour le laisser passer. Sauf qu'un de ses chiens n'a pas compris que quand il y a un obstacle, il faut essayer de l'éviter... Après une fraction de seconde d'hésitation avec le museau dans la housse de ma pulka, il a tout de même fini par comprendre et a fait un petit saut sur le côté pour m'éviter ! Brave bête ! 😊
La pente s'inverse et je me retrouve cette fois-ci face à une bonne descente, du haut de laquelle j'ai une vue imprenable sur les environs.
La suite de l'après-midi est assez linéaire. Il fait beau, il fait presque chaud, c'est plat, ça avance bien. Je suis tout de même surpris car je vois beaucoup d'habitations le long du chemin. Je ne les avais pas vues sur la carte. Je pensais que ce serait plus sauvage, plus isolé que ça. Mais attention hein ! Ça reste très joli quand même !
Bon, je n'atteindrai pas Jotka aujourd'hui, mais ce n'était pas spécialement l'objectif de toutes façons. C'était plus pour avoir un point de repère qu'autre chose.
Je vois un gros nuage donnant une bonne averse de neige au loin. En plein dans la direction où je vais. Vais-je me le prendre ? Vaste question ! Pour le moment je dirais que oui.
L'heure dorée
Le soleil a amorcé sa longue descente, commençant à donner de belles lumières chaudes. Il va être temps d'envisager d'installer la tente si je veux pouvoir profiter un peu.
Au bout d'un long espace plat et quasi vierge, je repère une toute petite colline. J'aime bien dormir en étant un peu perché. Le froid descend en plus, alors être légèrement en hauteur, ce n'est pas mal. Je m'y suis tout de même pris un peu tard, à force de vouloir avancer. Le soleil est déjà bien bas. Une légère brume se lève, signe que l'air se refroidit. Mais je n'y prête guère attention car pour le moment, sortant d'un effort, j'ai chaud.
Bon en tout cas, l'emplacement me parait bien, c'est décidé, je plante le camp ici pour ce soir.
Une fois la tente montée, je n'ai pas résisté à l'envie de faire quelques photos de ces belles couleurs au coucher de soleil. Je m'occuperai de la suite de la mise en place du camp plus tard.
Je suis bien, je prends mon temps. Je suis confiant. Trop peut-être ?
Allez ! Il faut quand même passer à la suite. J'installe mon couchage, me change, fais un brin de toilette avec des lingettes décongelées auparavant, mets en place le réchaud. Je me fais une gourde d'eau dans laquelle je laisse fondre une pastille d'hydratation. C'est mon petit plaisir du soir. Et puis c'est nécessaire car je ne bois probablement pas suffisament en journée quand je me déplace. Je la laisse baisser en température, car j'en ai marre de boire chaud.
Je décide de sortir pour ... hem ... vidanger, car ça commence à devenir pressant. J'étais loin de m'imaginer à ce moment là, que le grand nord s'apprêtait à me jouer un mauvais tour.
Le piège se referme
Sous son apparence douce, la Laponie est impitoyable.
J'ai eu à peine le temps de faire quelques pas dehors, en direction de ma pulka, pour récupérer un sac au passage, que j'ai senti le froid me transpercer d'un coup. Comme foudroyé. Pris par surprise, mon mental a lâché tout de suite. Je me suis immédiatement mis à trembler dans tous les sens et à avoir des mouvements incontrôlés. J'ai foncé sous ma tente pour me mettre en boule dans ma veste grand froid en contractant les muscles.
Mais qu'est-ce qui se passe put*in ? Il y a quelques minutes, je skiais sans gants, mes vêtements étaient ouverts, j'étais bien !
Chaque fois que je me "déplie" et que je tente un mouvement, je me remets à trembler dans tous les sens. Une certaine panique commence à m'envahir, mais je lutte ! Comment faire si je n'arrive pas à reprendre le dessus ? Il va bien le falloir pourtant ! Je sais que le mental y est pour beaucoup dans ce qui m'arrive. Le froid m'a eu par surprise, j'ai mal géré, je suis sous le choc. Alors il faut que je me reprenne ! Déjà, rester en boule, me contracter, pour générer de la chaleur et remplir le duvet de ma veste grand froid. Se concentrer. Mes mouvements me coûtent cher en énergie pour le moment, alors il faut que je les calcule bien. Reprends toi ! Réfléchis ! Qu'est-ce qui peut te faire du bien rapidement et facilement ?
Mon thermos de tisane chaude est à côté de moi. Je peux commencer par ça, m'en servir un verre. Je me concentre à fond pour éviter les tremblements, le temps de boire. J'ai mon sac de nourriture pas loin. Je mange quelques graines. Même si l'effet n'est pas immédiat, cela fait du bien au moral et m'aide à reprendre le dessus. Dans le cas où les choses empireraient, je craque une chaufferette. Mais vu le temps que ça met à chauffer, ce ne sera pas pour tout de suite.
Je commence à aller mieux. Je jette un œil sur le thermomètre dehors : -25° ! Quoi ? Si bas ? Et il ne fait même pas encore nuit ! Je ne m'attendais pas à ces températures. Je savais que ça pouvait arriver à cette période, mais je n'y croyais pas vraiment. La météo me donnait au moins 10° au dessus.
Je finis par réussir à me calmer et à reprendre le contrôle de mon corps. Wow ! Ça secoue quand même ... Après avoir retrouvé mes esprits, je réalise que ce qui vient de m'arriver était surtout psychologique. J'ai déjà connu des températures extrêmes et des situations plus compliquées. Là, j'étais sous ma tente, avec une veste grand froid, un gros duvet pour m'allonger juste à côté s'il fallait, de la nourriture, de l'eau chaude. En vrai, je n'ai jamais été réellement en danger. Mais psychologiquement, je n'étais pas prêt. Je ne m'y attendais pas. Ça m'est tombé dessus par surprise, ça m'a impressionné, j'ai craqué.
Je me refais le film et repense à toutes mes erreurs. Il faisait bon quand le soleil était là et que je faisais un effort, je me suis beaucoup dévêtu. Je ne me suis pas méfié, j'aurais dû me réhabiller beaucoup plus et beaucoup plus vite dès que je me suis arrêté. La petite brume était pourtant un très bon signal pour me montrer que le froid était en train d'arriver. Je n'y ai pas prêté assez attention. J'ai beaucoup traîné dehors, à faire mes photos, sans m'être protégé. J'ai fait une petite toilette, avec des lingettes pas très chaude. J'ai perdu beaucoup de chaleur à ce moment là. Ensuite j'ai bu cette boisson fraîche, ce qui a fait entrer du froid dans mon corps. Mon organisme a dû gaspiller de l'énergie pour la réchauffer. Et puis il y avait aussi cette envie de vidanger, que je retenais depuis un moment et qui fait aussi perdre de l'énergie au corps. Bref, trop confiant après une belle journée, j'ai cumulé les petites erreurs, qui dans de bonnes conditions ne sont pas très graves. Mais là, avec des températures aussi basses, je ne peux pas me le permettre.
Je savais que dans ces contrées, de belles journées avec un ciel dégagé signifiaient que les nuits allaient être glaciales. Mais je ne m'attendais pas à ce que ce soit à ce point !
Je regarde à nouveau la température à l'extérieur maintenant que la nuit est arrivée. Il fait -30 ! Je ne suis pas loin de mon record absolu. Il était de -33, sauf que là je dormais et mangeais au chaud. Je ne suis quand même pas bien rassuré.
J'informe mon ami Manu qui s'occupe de surveiller la météo pour moi. Il m'annonce que c'est parti pour être comme ça trois nuits de suite. Ouch ! Je ne l'avais vraiment pas vue venir celle-là. Je pensais me taper au pire du -15, comme le premier soir. Mais non, il va falloir faire avec du vrai grand froid ! Bon ... eh bien on va voir comment se passe cette nuit et si c'est supportable pour mon duvet qui est fait pour du -20 ou peut-être -25. Je n'en mène pas large. Mais ça fait partie de l'aventure.
C'est à ce moment là que je réalise que j'ai vraiment été bien inspiré de changer d'avis et de prendre de l'essence pour mon réchaud en plus du gaz hiver ! Car le gaz hiver, à cette température là, il ne fonctionne plus ! Merci la petite voix dans ma tête qui m'a dit de changer !
Bon, les choses se sont calmées, je suis revenu à un état normal, il est temps de reprendre ma routine. Manger, faire fondre, puis bouillir de la neige afin de remplir mes thermos. Et après seulement, j'aurai quartier libre, pour aller voir dehors ce qu'il se passe.
En tout cas une chose est sûre : ce soir, j'ai reçu un avertissement et je l'ai bien entendu. Il va maintenant falloir que je fasse très attention pour la suite de mon aventure. La lutte contre le froid va être beaucoup plus critique que prévu.
Ne pas subir
Maintenant que j'ai repris du poil de la bête, que j'ai mangé et que mes thermos d'eau chaude sont pleins, il faut que j'aille l'affronter ce froid mordant. Je ne vais pas passer toutes les nuits restantes, en boule sous ma tente. Armé de ma chapka sur la tête, je m'élance dehors.
Brrrrr ! Je suis encore pris de quelques frissons, le temps de m'habituer.
Du coin de l'œil, je vois qu'il y a une aurore très légère, à peine visible. D'ailleurs au début, en la regardant de face, je ne la voyais pas. Oui, une histoire de récepteurs dans notre œil. La vision périphérique est plus sensible en basse lumière. C'est pour ça que je la vois mieux en la regardant de côté cette petite aurore. Mais c'est aussi le temps que je m'habitue à l'obscurité. Petit à petit, je la vois de mieux en mieux.
C'est très beau. Il y a toujours cette petite brume due au froid. L'air ne peut plus contenir son humidité sous forme gazeuse, alors elle la relache sous forme liquide. À ces températures, cela se transforme en givre qui va se coller sur tout ce qu'il trouve. Moi et mon appareil photo y compris. Je suis obligé de constamment gratter la lentille de mon objectif pour enlever la fine couche de glace qui s'y dépose.
J'en profite pour tester aussi la caméra 360 sur les aurores. Je sais que le résultat ne sera pas génial car elle est très peu intense ce soir, et ma caméra n'est pas aussi sensible aux basses lumières que mon réflex. Mais qui sait ? Peut-être que je n'aurai pas d'autre occasion !
Tiens ! Je n'ai plus froid ! Mon attention est prise par quelque chose d'autre. Comme quoi il y a bien une dimension psychologique là-dedans !
Bon, tout de même, au bout d'un moment, ça finit par revenir. Je suis fatigué après cette journée riche en émotions. Et j'appréhende un peu la nuit à ces températures. Peut-être qu'il faudra qu'elle se fasse en plusieurs parties, avec quelques sessions de réchauffage entre chaque. On verra !
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