Jour 8 : Teusajaure - Vakkotavare
L'étape s'annonce difficile. 15 kilomètres, mais avec environ 600m de dénivelé positif et à peu près la même chose en négatif de l'autre côté, avec des pentes assez raides.
Je ne l'avais pas réalisé, c'est le garde qui me l'a montré, mais cette dernière étape de la partie 1 n'est pas prévue pour l'hiver. La transition entre les parties 1 et 2 n'est pas très claire. Ça s'annonce raide !
Le bus pour Saltoluokta part à 14h50. On compte donc très large pour ne pas le rater. "On" car vu la difficulté, le suédois n'arrête pas de me bassiner pour que nous fassions équipe aujourd'hui "comme ça on pourra s'entraider". Pour le coup, il a sûrement raison.
Réveil à 6h pour un départ express à 7h. Le gardien nous amène la météo : pas bonne du tout. Tempête de catégorie 2 (selon les standards suédois) annoncée sur la montagne au dessus. Il nous déconseille d'y aller. Je vérifie sur mon GPS : normalement nous devrions être arrivés bien avant. En plus, avec les chutes de neige, cela risque d'être encore plus profond et compliqué le lendemain. On se lance tout de même.
Traversée du lac : OK !
Remontée droit dans les bois : pas ok du tout ! La neige est fraiche, profonde, le tracé pas adapté, il y a plein de petits raidillons, ça ne pardonne pas. Avec le poids que je tire, je vis un enfer. De tout petits reliefs dans les arbres avec des bosses, petites mais très raides, m'en font baver comme pas possible. Ma putain de rondelle de bâton casse ! La 2ème ! Je n'en ai plus de secours. Je ne peux plus prendre appui sur un de mes deux bras. Je ne comprends pas ce système de rondelles clipsées sur mes bâtons alors que chez la plupart des constructeurs c'est un pas de vis et que ça tient très bien. Du coup ça fragilise l'ensemble. Bref, j'éviterai cette marque à l'avenir.
Mon "ami" lui, continue, me laissant dans ma galère. En m'arrachant, je finis par m'en sortir, mais j'y ai laissé toute mon énergie. Putain ça commence bien !
Ça souffle, mais ce n'est pas encore tempête. Je passe enfin au dessus de la ligne d'arbres. La neige devient enfin tassée, mais ça continue de monter et moi je n'ai déjà plus de jambes. Le suédois continue quelques centaines de mètres devant.
Je l'appelle pour qu'il m'accorde un break, mais trop loin, il ne m'entend pas. Pas même un regard de temps en temps. "Faire équipe" qu'il disait !
La tempête arrive en avance, la visibilité diminue.
Après avoir pesté derrière mon masque sans qu'il m'entende, mon camarade jette enfin un coup d'oeil derrière lui. Je lui fais signe de m'attendre. Arrivé à son niveau, je lui explique qu'il va falloir agir un peu plus en équipe si on veut y arriver. Il repart devant mais se retourne de temps en temps pour m'attendre.
La tempête forci, ça monte toujours, je suis déjà vide d'énergie. Quelle connerie d'être parti ! Vous savez ce gars dont on dit "tu avais qu'à écouter les conseils" quand on le voit à la TV après avoir eu un accident suite à un truc inconscient ? Et bien aujourd'hui ça aurait pu être moi. C'était vraiment une sacrée ânerie de partir dans ces conditions et je regrette mon inconscience du jour.
Plus on avance et plus la visibilité diminue. Comme c'est un sentier d'été, le marquage n'est pas fait avec les habituelles grosses croix rouges, mais de simples piquets plantés à quelques dizaines de mètres d'écart. Et bien lorsqu'on est sur un, on voit à peine le suivant. Pour quelques uns nous y sommes même allés au pif afin de finalement apercevoir la silhouette du prochain.
A ce moment là, je suis partagé par l'utilité de mon compagnon de galère. Malgré ce qui s'est passé au début, je n'aurais pas pu faire ça sans lui.
Je suis vraiment inquiet à cause de la tempête, mais j'arrive à me recadrer pour ne pas céder à la panique. Ça me rappelle quand je faisais de l'apnée. C'est un peu le même genre de sensation. Quand je descendais à 20 mètres sous la surface, je n'avais pas le droit de craquer. C'était interdit. J'étais parti pour 40 mètres, 20 de descente, 20 de remontée, sans respirer. Respirer c'était la noyade. Il fallait donc que je me maitrise et que je me focalise sur ce que j'avais à faire, pour que tout se passe bien, puisque ça ne pouvait pas être autrement.
Et bien là c'est pareil. J'ai pris mon inspiration avant d'entrer dans la tempête, je suis maintenant en apnée, je dois tenir jusqu'au bout, jusqu'à ce que je m'en sorte, je respirerai après. Enchaîner les piquets les uns après les autres, jusqu'à ce que ça s'arrête. Il n'y a plus que ça qui doit compter. Je ne dois pas laisser le doute me distraire. Et si je perds le piquet suivant ? J'ai encore mon GPS. Mais pour le moment regarde, le piquet apparait, c'est bon ! Jusqu'au prochain ... Je suis bien protégé sous mon masque, mon tour de cou qui remonte jusqu'au nez, la capuche de mon coupe vent, mes gants. Je suis blindé et je ne suis pas encore au maximum. Il me reste plein de couches à enfiler au cas où. Alors concentre toi et avance !
Après des heures de lutte contre les éléments et la montée, on arrive enfin à la partie descendante. Le poids de ma pulka, handicapant jusque là, devient enfin un atou. Mes jambes soufflent un peu. Tant que la pente est douce, je me débrouille mieux que le suédois. C'est à moi de l'attendre plusieurs fois ce coup-ci. Ça me permet de souffler.
On arrive enfin aux arbres, signe qu'on approche de la fin. La tempête s'est calmée, ou plutôt la zone où on est est mieux protégée. On semble presque tirés d'affaire. Je peux reprendre ma respiration.
Après un passage sur un petit relief, ma pulka verse un bon coup. Je me détâche parce que je n'ai pas le choix. Elle glisse toute seule au fond d'un trou et s'arrête contre un arbre. C'est trop raide, je n'arrive pas à la sortir.
Mon "ami" s'arrête deux mètres plus loin, mange un truc, pisse un coup, range son engin, puis repart ...
Mec mais t'es sérieux là ? C'est ça faire équipe pour toi ? T'étais bien content que je sois là avec mon GPS et ma balise de secours dans la zone dangereuse, et maintenant que tu es en sécurité tu me laisses tout seul dans ma galère pour pouvoir aller choper ton bus ?
C'est bon ! J'avais des doutes, mais maintenant mon opinion sur toi est bien définie : tu es un bon gros connard qui ne pense qu'à sa gueule ! Et bien va bien te faire voir !
Après avoir déchaussé et à force de lutter, je finis par me sortir de mon trou. Je continue. La tempête me revient dessus. Je rechausse, mais la pente devient trop casse gueule. Je termine en chaussures. Parfois je m'enfonce jusqu'à la taille, je ne m'en sors pas. J'enrage ! Je hurle dans la montagne !
Puis quelques foulées plus loin, le refuge m'apparait enfin ! Je vais passer cette journée !
Je viens d'arriver à Vakkotavare et de finir la première étape de la Kungsleden !
C'est une première victoire ! Je suis super content, très fier et ému d'être arrivé jusqu'ici. La petite larme au coin de mon oeil n'est probablement pas là qu'à cause du vent.
Qui il y a encore quelques années aurait misé la moindre pièce sur moi réussissant quelque chose comme ça ? Personne ! Pas même moi ! Surtout pas moi. Et pourtant je suis là, je l'ai fait et c'est génial ! C'est pour ce genre de moment, pour cette sensation d'accomplissement, que je me suis donné tout ce mal, parce que ça fait vraiment du bien.
Bon, il ne faut quand même pas trainer, je suis toujours dans les temps pour le bus, mais ça devient limite. Je savourerai après !
La gardienne, très gentille, m'accueille. Mon ami est là mais je l'évite.
Elle me demande mes plans et y met vite un terme : le bus ne circule pas aujourd'hui à cause de la tempête. Bon et bien voilà, je dors ici ce soir ! Saltoluokta et le début de la partie 2 attendrons.
Le suédois me dira plus tard qu'il est parti devant pour essayer de nous choper le bus. C'est ça oui, sans me le dire, prends moi bien pour un con. Il est revenu me voir plus tard dans la soirée quand je prenais mes notes pour savoir si je parlais de lui. Bien sûr que je parle de toi ! Tu n'as pas la conscience tranquille ?
Le refuge est plus animé que le précédent. Il y a un couple de français, des allemands, des norvégiennes, quelques suédois. Tout le monde me parle du coronavirus. Les frontières ferment, les vols sont annulés. Vais-je pouvoir / devoir rentrer ?
J'ai du réseau vu qu'on est à côté d'une route. J'en profite pour appeler ma famille, prends et donne des nouvelles aux amis, puis essaye de soigner mon pied qui ne va pas très bien.
Le bus, s'il passe, sera là à 14h35 demain. Ça me laisse le temps de me reposer.
Les norvégiennes font leur trip avec des chiens. Il y a donc des compagnons à quatre pattes avec nous au refuge.
J'ai montré mon pied à la gardienne, elle a l'air inquiète. Elle se renseigne pour moi sur ce qu'il faut faire. Comme j'ai du réseau, je transmets une photo à une infirmière que je connais. Ce n'est pas joli, il faut que je me fasse soigner comme il faut. La gardienne me prodigue quelques soins avec les moyens du bord, mais demain il faudra s'occuper de ça plus sérieusement.
Pour le moment il est tard, il est temps d'aller dormir.
Et en plus il ronfle comme un cochon ce c*n !
Vos commentaires :
Publier un commentaire :