Jour 8 - Entre Mollisjok et Ravnastua

J'entame ma sixième journée sur le plateau. Je suis maintenant plus proche de la fin que du début. Je commence à compter les jours qu'il me reste avant de pouvoir dormir au chaud.
Le 03/05/2023

Réveil pressé

J'aurais pu passer une bonne nuit. J'avais à peu près chaud dans mon duvet, il n'y avait pas le moindre bruit dehors. Seulement voilà, la dernière vidange avant d'aller me coucher n'a pas suffit et je me fais sortir de mon sommeil par une envie pressante. Trop pressante. Oui, j'ose vous parler d'une chose aussi anodine et intime, car quand dehors il fait entre -20 et -25, croyez moi, ça n'a plus rien d'anodin ! Et puis pour l'intimité ... on s'en moque non ? On est entre nous ! 😁

Me voilà donc réveillé en pleine nuit, bien qu'il fasse déjà clair dehors, ensaucissonné dans mon duvet et toutes les autres couches qui me protègent du froid, avec la vessie prête à éclater. M*rde ! Je commence par essayer d'estimer si ça peut tenir jusqu'au petit matin et si j'ai une chance de me rendormir. Après de longues minutes passées à me retenir, visiblement ... non ! En plus, ce n'est pas bon du tout pour la lutte contre le froid. Bon ... eh bien il va falloir que je me sorte ! B*rdel !

Et là je repense à Alban, lors du stage que j'ai fait avec lui, qui m'a conseillé de prendre une gourde Nalgene avec moi et de m'en servir pour les vidanges "d'urgence". Puis il avait ajouté : "Ensuite tu la fermes bien et tu la mets avec toi dans ton duvet pour éviter que ça gèle pendant la nuit. Tu la vides le matin. En plus ça te fait une bouillotte". Je m'étais dit "hors de question que je fasse ça", parce que je m'étais tout de suite imaginé le drame avec le couvercle qui lache ou qui s'ouvre pendant la nuit... Bon ... j'aurais peut-être mieux fait de l'écouter finalement.

En tout cas, plus le choix, il faut y aller. J'essaye de faire ça en version express, pour ne pas perdre trop de chaleur. Je ne prends donc pas le temps de m'habiller correctement. Je crains d'être rattrapé par le froid et d'être pris de tremblements pendant que je suis dehors, comme lors de la première nuit par -30. Mais au pire cette fois-ci, j'ai un duvet déjà pré-chauffé qui m'attend à l'intérieur.

Bref ! Une fois fait ce qu'il y avait à faire, je me suis précipité dans mon couchage. J'ai exécuté une version très rapide de mon protocole pour me coucher. Heureusement, j'ai réussi à me rendormir et niveau chaleur ça a tenu jusqu'au petit matin.

Réveil, le vrai !

Je suis même plutôt bien au fond de mon sac de couchage, alors j'y reste. Aujourd'hui je peux me permettre de faire une petite étape. Je vais avancer en direction du troisième refuge, celui de Ravnastua, mais je n'ai pas besoin de l'atteindre. Si je fais une dizaine ou douzaine de kilomètres aujourd'hui, ce sera déjà bien.

La faim fini par l'emporter et je me lève pour prendre mon petit déjeuner.

Je vois un groupe passer sur la piste pas bien loin de moi. J'entends un "Hei !" par la porte de ma tente et voit une forme juste derrière. Un gars ! Il m'a surpris ce con ! 😅

C'était le guide du groupe. Il m'a demandé si j'étais tout seul et surtout si j'allais bien. Ça parait anodin, mais ça m'a beaucoup touché de voir que quelqu'un venait à ma rencontre pour se soucier de moi. C'est peut-être ça la différence entre les touristes et les aventuriers. Lui il sait et comprend ce que je vis, ce que je fais, ce que j'affronte, pourquoi je fais ça. J'avais déjà remarqué cette forme de solidarité quand j'ai fait la Kungsleden (bon ... pas avec tout le monde hein ... coucou le vieux suédois !), ou même l'année dernière, quand les hollandais devant moi m'écrivaient des mots d'encouragement dans la neige, ou me faisaient une haie d'honneur en arrivant à la cabane le soir.
On s'échange quelques informations, puis il repart, en me lâchant un petit "Bon voyage !" ... en français. Il a du voir le petit drapeau sur ma tente. L'accent aussi probablement.

En tout cas, c'est tout bête, mais ça m'a fait plaisir cette petite visite. Ça m'a donné le sourir.

Il est temps de se remettre en marche ! Je commence à avoir froid aux pieds. Il faut que je génère de la chaleur.

En route !

Bon ... je ne sais pas ce qui se passe ce matin, mais c'est laborieux. J'ai du mal à avancer. Je n'arrête pas de monter sur des petites collines, pour redescendre juste derrière et recommencer un peu plus loin. Et mine de rien, je commence à fatiguer après toutes ces journées passées dehors dans le froid.

Au moment de la pause repas, le relief redevient plus plat. Je me retrouve à nouveau dans une zone désertique. Ce n'est pas la première fois, mais ça m'impressionne toujours autant. Je suis vraiment au milieu de nul part.

Je fais voler rapidement le drone, dans lequel il reste à peine suffisamment du jus, pour garder une vidéo souvenir de ce paysage vraiment très particulier.

Un peu plus loin sur mon chemin, je croise trois femmes avec des pulka. Elles sont norvégiennes, elles font la traversée dans l'autre sens. Elles ont dormi en tente, mais se sont visiblement payé du -30 cette nuit. Elle ont probablement dormi plus bas que moi, dans la brume. Il y en a une des trois qui n'a vraiment pas apprécié l'expérience, alors ce soir elles comptent dormir au refuge de Mollisjok.

Quelques centaines de mètres plus loin, je vois une forme bouger sur la crète d'un petit relief. Avec mes yeux qui commencent à vieillir, comme leur propriétaire, et le manque de points de repères dans tout ce blanc, je n'arrive pas à distinguer ce que c'est. Je sors donc le réflex avec le téléobjectif. Un corbeau ... sérieusement ? Tout ça pour ça ?

La fin d'après-midi approche. Après un long plat, je m'attaque à une belle montée. Hum ... un endroit en hauteur, avec une vue bien dégagée devant ? Ok ! Ça me va, je plante le camp ici !

Dunes

L'endroit me plait beaucoup. La vue est belle et dégagée. Je suis en hauteur, au milieu de sortes de dunes de neige. Parfait ! Je vais être bien ici ce soir !

Je ne suis pas complètement tout seul, puisqu'à quelques centaines de mètres, il y a une minuscule cabane, avec quelques motoneiges autour.

Je ne sais pas ce qu'ils font là. Probablement des samis (des lapons). J'aurais préféré être tout seul, mais je ne pense pas qu'ils me dérangent trop là où ils sont.

Je me lance dans l'installation de mon camp. Je m'y suis pris tôt. Je suis vraiment très large. Pas besoin de me presser. Je tasse la neige, je déplie et plante la tente. Et au moment de creuser ma fosse à froid sous mon abside (en gros un trou dans lequel je mets mes jambes pour être confortablement assis), j'ai eu une sacrée surprise. Je suis tombé sur ... de la pisse. Put*in ! Sérieusement ? Dans toute cette immensité, il a fallu que j'installe ma tente sur le coin toilettes de quelqu'un qui est passé là quelques jours avant ... vraiment ? Bon ce n'est pas complètement déconnant cela dit. Le coin est joli, le spot est idéal pour monter un camp. Je ne suis visiblement pas le premier à avoir eu l'idée de m'installer ici. Mais mince !

Je recouvre donc tout et arrête de creuser. Tant pis, pas de fosse à froid pour ce soir. Berk ! Décidément, mon article est très orienté urine aujourd'hui ! Promis, ce n'était pas voulu 😅

Bref, mon camp est monté, à part pour la fosse. Mais je ferai sans.

Malgré ces petits désagréments, je suis bien installé et le coin me plait.

Le soleil continue sa longue descente et donne de jolies couleurs.

Je vais voir ce qui se passe en contrebas car j'entends depuis quelques minutes le bruit d'une motoneige qui semble dans la douleur. J'en vois effectivement une, et je comprends vite pourquoi elle souffre : elle tire deux énormes objets. J'ignore ce que c'est, mais les seules choses que ça m'évoque me paraissent complètement improbables. Ça me fait penser à une cabine de sauna et une sorte de bassin genre jaccuzzi. Mais qu'est-ce que ça viendrait faire là ? Cela dit, ils sont tellement fans de saunas ici que pourquoi pas. Allez, misons sur autre chose de plus réaliste : disons que c'est une cabane pour s'abriter et un bassin pour abreuver les animaux cet été. Mais en même temps, il y a tellement de l'eau de partout ici pendant l'été, qu'ont-ils vraiment besoin d'un bassin pour boire ? Un jaccuzzi et un sauna alors ? Bon ... je ne saurai jamais ! 😅

Le pilote me salue en passant et s'arrête avec son chargement à la cabane un peu plus loin.

Allez, il commence à se faire tard, je passe à ma petite routine du soir. Comme la température est remontée par rapport aux nuits précédentes, je décide d'arrêter de tourner avec mon réchaud essence et de passer au gaz hiver. Plus simple et plus agréable d'utilisation. C'est moins bruyant, moins dangereux et ça sent moins.

Dehors il commence à y avoir quelques aurores, très légères.

Je suis enthousiaste car ma vue est dégagée et le cadre est différent de celui des soirs précédents. Mais il y a une petite brume qui vient gâcher la fête. Quelques passages nuageux aussi. C'est un peu décevant après une si belle journée avec un ciel si clair. C'est à cause du froid. Bon, ça reste sympa tout de même, mais j'espérais mieux.

Il y a des aurores alors qu'on voit encore la lueur du soleil couchant à l'horizon. Il y a aussi la Lune en plein milieu. Les lumières se font concurrence.

Mon matériel se couvre rapidement de givre. Je vais m'abriter dans ma tente en espérant que la brume disparaisse.

Elle ne disparaitra pas. Ou plutôt, pas assez vite. Je m'impatiente. Puis l'activité aurorale n'est pas très forte non plus. Ça fait un flop. Tant pis, je vais faire une bonne nuit de sommeil, ça me fera du bien !

Vos commentaires :

Par Jean Pierre Saint Valery le 3 mai 2023 à 23:31
A te lire et à t'entendre, cela paraît presque facile !

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faut pas croire ce que disent les journaux