Jour 8 - Lankojärvi
Réveil aux aurores
La veille, avant de me coucher, j'ai mis un réveil à 6h du matin, pour essayer de profiter du lever de soleil. Je n'en ai pas eu besoin. J'ai les yeux grands ouverts depuis environ 5h. Même si le jour ne se lèvera officiellement pas avant encore au moins une bonne heure encore, le ciel est déjà très lumineux. À cette époque de l'année, le soleil rase l'horizon et prend son temps pour se lever et se coucher.
En plus de la luminosité, je me suis fait réveiller par d'étranges cris d'animaux tout autour du lac. J'entends un pic, qui tape contre son arbre. Ça c'est bon, je sais ce que c'est. Mais le reste ... alors là ! Aucune idée ! Je ne saurais même pas comment le décrire. Je dirais que ce que je connais qui s'en rapproche le plus, serait éventuellement le coassement d'une grenouille, mais de loin. Et vu les températures, c'est absolument sûr à 100% que ce n'est pas ça !
Allez ! Je me lève, je m'habille chaudement, je prends mon téléobjectif, je mets mon poncho de camouflage ... histoire qu'il serve, maintenant que je me suis embêté à l'amener. Puis je vais faire un petit tour pour espérer voir ce que sont ces bestioles.
Sans surprise, je ne trouve rien. J'entends, au loin, mais je ne vois rien.
Pas de bestiole ! Mais en revanche, le soleil, qui se rapproche de plus en plus de l'horizon, commence à embraser les nuages. Le ciel devient magnifique. Comme quoi il n'y a pas que les aurores pour l'embellir !
Cette matinée est assez folle. D'un côté le ciel est en feu, de l'autre il est dans des tons plus pastels. Je prends plein de photos, mais j'essaye aussi d'en profiter avec mes yeux. J'ai beau essayer de faire ce que je peux avec mon appareil, mais je n'arriverai jamais à retranscrire tous les éléments qui crééent cette ambiance si particulière. Alors j'enregistre tout ça dans ma tête. Pour moi. Vous, vous aurez les photos !
Allez mec ! C'est magnifique, mais ne traine pas trop. Tu as une grosse journée qui t'attend derrière et le temps passe ! Idéalement, j'aimerais bien rester devant les hollandais, pour qu'ils passent vers moi au cas où j'aurais un pépin. C'est plus sécurisant. Je prends mon petit déjeuner et commence à replier mon camp. D'un coup j'entends "Hey ho !". Ce sont eux. Ils ont repéré ma tente depuis le chemin et me saluent au loin. Bon ! Raté pour qu'ils restent derrière. Tant pis !
Je ne verrai finalement pas le soleil passer l'horizon. Les nuages ont gagné la bataille dans le ciel au tout dernier moment. Mais ce n'est que temporaire. Le reste de la journée devrait être plutôt bien niveau météo.
Vers Lankojärvi !
La trace est correcte. Ce n'est pas "l'autoroute" comme ça a pu être le cas les jours précédents, mais avec toutes les pulkas qui sont passées dessus dernièrement, elle est plutôt bonne. Ça ne m'empêche pas de réussir à faire verser la pulka pour la première fois du séjour (j'aurais aimé que ce soit la dernière aussi...). Une manœuvre mal négociée à cause d'un obstacle au milieu de la route et paf !
Le chemin passe le long d'une petite rivière dont l'eau est libre. Le paysage est assez joli et apaisant. Il n'y a pas de vent, le soleil se montre de temps en temps pour donner un peu de couleurs. La montée jusqu'au col se passe bien et ne me demande pas trop d'énergie malgré le petit dénivelé positif. Je traverse des zones de toundra qui sont remplies de traces d'animaux. Certaines me sont complètement inconnues et resteront un mystère. D'autres, me font douter et me demander si ça ne pourrait pas être du loup. La taille des pattes me parait bien petite et me ferait plutôt penser à un renard, mais l'écart entre chaque pas me semble grand.
J'aurais adoré poser la tente dans un endroit comme celui-ci, me faire tout petit, tout discret, et attendre de voir ce qu'il se passe, caché sous mon poncho de camouflage. Mais malheureusement, il est encore beaucoup trop tôt. Je ne sais pas pourquoi, mais mon instinct me dit qu'il faut que j'atteigne Lankojärvi aujourd'hui. L'avenir me montrera que j'avais peut-être raison.
Des motoneiges, au nombre de trois, viennent déranger la tranquilité des lieux. Sans doute des gardes du parc.
Le soleil arrête enfin de faire son timide et se montre pour de bon. C'est agréable pour le moment, mais je sais ce qui risque de m'attendre un peu plus tard si ça continue. Et effectivement, ça n'a pas loupé ! En redescendant légèrement de l'autre côté du col et en arrivant dans une zone de taïga (la forêt boréale), la neige devient collante. Ça ne va plus être aussi simple qu'avant.
Une bonne petite pause
Il est bientôt midi, j'arrive vers une zone censée être aménagée pour le pique-nique à côté de la rivière. Mais ça doit être seulement en été, car là, je ne vois rien. Aller, j'en profite pour faire ma pause casse croûte car je commence à avoir faim. Il fait chaud ! J'enlève toutes mes couches supérieures, pour ne conserver que mon t-shirt et bénéficier de la chaleur des rayons du soleil. Je suis en t-shirt en hiver au fin fond de la Laponie. Tout ... va ... bien ...
J'en profite pour essayer de faire sécher mes peaux en posant mes skis face au soleil contre un arbre. Si ça fonctionne, ça me permettra de les imperméabiliser avant de repartir, grâce à un produit que j'ai amené.
J'ai soif ! J'ai hyper soif ! Mais l'eau chaude dans mes thermos ne me fait pas vraiment envie. J'ai envie de m'envoyer de bonnes grosses rasades dans le gosier ! Aller ! Tant pis ! Je ne risque pas grand chose, je vais me servir directement dans la rivière. Et ça fait un bien fou !
Je mange sur le pouce. Je n'ai pas envie de m'embêter à réhydrater quelque chose maintenant. Barres de céréales, de fruits, graines, viande séchée ... tout ce qu'il faut pour redonner de l'énergie !
Ma stratégie pour les peaux de phoque a l'air d'avoir fonctionné.
Il est temps de repartir.
J'ai un peu peur d'avoir perdu la trace vers la zone de pause. C'est assez confus, il y'en a qui partent dans tous les sens et je n'arrive pas à voir où on traverse la rivière. Bon, là il y'a une trace de motoneige et plein de trous de bâtons de marche, ça me semble bien, je vais suivre ça. Bingo ! Après cinq bonnes minutes, je vois enfin un petit pont de neige et les choses deviennent plus claires.
Une fois de plus, je me retrouve à traverser une zone de toundra qui me donne énormément envie d'y poser la tente. J'hésite. J'hésite vraiment. Je sors la carte, le GPS, j'essaye de voir si ça peut se faire. Mais non. Encore une fois, je ne sais pas pourquoi, mais je ne suis pas rassuré. Je pense vraiment qu'il faut que j'atteigne Lankojärvi ce soir. Je continue donc mon chemin.
La trace devient plus compliquée. Elle m'emmène au milieu des arbres. Elle devient plus profonde et plus étroite, au point que ma pulka, plus large que les autres, se retrouve à frotter des deux côtés. Ma progression en est fortement ralentie, mais ça va encore.
Au moment où je pense avoir fait le plus dur et être presque arrivé, ça devient n'importe quoi. La belle trace bien nette que je suivais jusque là se sépare en plusieurs. Aucune ne semblant mener au même endroit. Je tente ma chance un peu au pif, mais je me retrouve face à une pente raide et escarpée. Je me lance tout de même et me prends aussitôt une bonne gamelle. Je peine à me relever, avec une neige très molle et humide tout autour de moi, puis la pulka qui continue de me pousser malgré le fait qu'elle ait versé. Ok ! Je passe aux raquettes. Je me rends compte que je n'ai pas fait le bon choix. La trace semble encore plus se perdre ensuite. Mais avant de continuer ma descente, j'aperçois un passage de motoneiges au loin. Au pire, je prendrai ça.
Je sors enfin de cette zone difficile et je finis par retrouver la vraie trace quelques dizaines de minutes plus tard. Je reconnais les empreintes des pulkas des hollandais ainsi que leur nombreux trous de bâtons.
Je longe à nouveau la rivière, ce qui donne parfois de jolis motifs avec la neige. Le soleil commence à être de plus en plus rasant et à dégager une belle lumière orangée bien chaude. À d'autres endroits dans le monde, ça aurait été un signe qu'il fallait que je me dépêche avant la tombée de la nuit. Mais ici, à cette époque de l'année, je sais que j'ai encore pour un bon moment de luminosité devant moi.
Aller au bout
Je tombe sur une nouvelle zone de pique nique. Et comme pour la première, la trace part dans tous les sens. Je la perds à nouveau. Je prends celle qui me semble la plus logique, même si ça ne correspond pas vraiment à ce que j'avais en tête par rapport à la carte. J'hésite. J'observe. Ok, ça ne me parait pas logique, mais si je pars par là bas, il n'y a presque pas de trace. C'est suspect. Tant pis, je reste sur celle-ci, c'est la plus large, on dirait qu'elle a servi aux motoneiges, ça doit bien m'emmener là où je cherche à aller. D'ailleurs, il n'y a pas qu'aux humains qu'elle sert cette trace ! Tout le long, je retrouve la même empreinte des sabots d'un renne qui a dû profiter de cette autoroute pour se déplacer.
En fait, je sais que j'arrive dans une zone de rivières ainsi que de lacs et j'ai peur de me retrouver coincé du mauvais côté de la rive. En en discutant avec les hollandais avant de se quitter, ils avaient les mêmes craintes que moi. Et pour le moment, je n'ai vraiment pas l'impression d'être du bon côté. Ça m'inquiète. Je ne suis pas serein en cette fin d'après-midi, alors j'accélère, pour avoir le temps de me retourner en cas de problème. Je tombe sur un premier lac à traverser. Vu la chaleur qu'il a fait ces derniers jours et surtout aujourd'hui, ça ne me rassure pas des masses. Je traverse à toute vitesse, même si au fond, ma peur n'est pas très rationnelle. Le risque que la glace casse sous mon poids est tout de même extrêmement faible. Mais que voulez-vous ... il y'a des choses qu'on redoute plus que d'autres, et pour moi, celle-ci en fait partie. Puis la neige semble "mouillée" par endroit, ce qui n'est pas vraiment bon signe.
J'approche de Lankojärvi, mais je n'y suis pas encore. Un nouveau lac à traverser. Comme le précédent, j'y vais à fond les ballons. Je m'arrête tout de même dans une zone qui me parait sécurisée pour faire quelques photos.
Voilà ! J'y suis ! Lankojärvi ! Enfin ... le lac, pas la cabane. En finnois le suffix "järvi" signifie lac. La cabanne, je la vois de l'autre côté. La trace traverse en plein milieu. Je retrouve les indices de passage des hollandais. Bon ... c'est que je suis sur la bonne piste et que ça doit le faire. Je vois de plus en plus de plaques de neige mouillée. Je passe même à côté d'une zone d'eau libre. Heureusement, le risque est très limité car à cet endroit, vu la configuration du terrain, il ne doit pas y avoir beaucoup de fond.
Je pense que c'est à cause de ça que mon instinct me poussait à finir aujourd'hui. Avec ce soleil, la situation de la glace sur les lacs ne va pas aller en s'arrangeant.
Je traverse et j'arrive enfin à la cabane !
Lankojärvi !
Les hollandais sont bel et bien là. Deux d'entre eux sont dehors et me font une mini haie d'honneur et une ola pour m'accueillir et me féliciter. Je vous avais dit qu'ils étaient sympa !
On discute un peu. Ils ont eu les mêmes galères que moi. Perdus dans les traces dans les arbres, peur d'être du mauvais côté ... Bon, ça me rassure, ce n'est donc pas moi qui ait dramatisé. Comme dans les autres cabanes, ils ont investi le côté réservable. Je vais du côté public. J'ai bien envisagé de planter la tente, mais il est déjà tard, je suis épuisé. Le site est entouré d'arbres, je ne vois pas de spot qui me botte bien. Sortir la tente juste pour sortir la tente, ça ne vaut pas le coup, alors je préfère me reposer et dormir à l'intérieur. Puis après cette journée bien humide, faire sécher mes affaires au chaud ne sera pas du luxe.
J'ai deux nouveaux collocataires : un couple de tchèques bien sympathiques. Lui ne parlait pas trop anglais, donc j'ai surtout discuté avec elle.
Ils sont tombés amoureux de ce parc et reviennent ici chaque année. Là, ils me disent revenir d'une zone proche de la frontière russe. Ils ont vu des hélicoptères patrouiller. J'évite de trop parler de la guerre en cours car j'ai envie de me vider l'esprit. Mais elle me confie que venant d'un pays qui a été sous le joug des soviétiques, ils sont particulièrement inquiets par rapport à ce qu'il se passe.
Pour me féliciter de cette longue et difficile journée, je sors le lyophilisé "spécial journées difficiles", j'ai nommé : la fondue savoyarde ! Je vous jure, ça ne fait pas trop envie dit comme ça, mais en vrai, dans ce genre de conditions, ça fait un bien fou !
Une fois la nuit tombée, je sors plusieurs fois pour espérer voir des aurores. Mais malgré ce que dit la météo, le ciel est chargé. C'est dommage, les prévisions de perturbations magnétiques sont extrêmement hautes ce soir. Tant pis, je vais au lit !
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